Ça voulait dire suis moi, j'en savais rien

Printemps 1992.

J'ai 12 ans, bientôt 13.

Ça fait une semaine que Skyrock tease son Megamix du week-end à venir.

 

Samedi prochain,

annonce une voix beaucoup trop grave pour être vraie, le Garage Sound of Newww-Yorrrrk !!! De minuit à une heure du matin.

Je sais qu'il y a des chances pour qu'ils passent Unique de Danube Dance et Kim Cooper, et je ne l'ai pas encore en cassette à ce moment-là.

Veiller jusqu'à minuit, l'oreille collée à ma radio, je le fais souvent.

Ne serait-ce que pour entendre la fin de l'histoire érotique de Géraldine, ou pour basculer quelques minutes sur Super Nana et cette chanson de Michel Jonas entendue des dizaines de fois, les types qui insultent l'animatrice, l'étrange monde des adultes. 

 

Alors j'ai préparé ma cassette de 90 minutes.

Je suis large pour enregistrer l'intégralité de l'émission. Au pire, j'ai juste à tenir les premières 45 minutes, changer de face, et laisser faire. Je ne me souviens plus si j'ai tenu jusqu'au bout de l'émission cette nuit-là, mais j'ai réussi à avoir l'intégralité du Megamix.

 

C'est mercredi.

Je suis tranquille à la maison et je me vois mettre la cassette dans la chaîne hi-fi du salon.

C'est House, Deep House, le Garage Sound of Neeeeewwww-Yooorrrk !!! Undergroooouuuund !!!

Y a plein de trucs que je ne connais pas, et qui sont pas terrible, à part Unique que j'attendais...

C'est assez explicite comme morceau, un aspect qui était moins présent dans la version plus courte qui passait en journée.

Le morceau n'en avait pas besoin, j'ai pensé.

C'est un peu comme le French Kiss de Lil' Louis dans l'esprit, mais en moins bien. 

 

Dommage, mais ça va quand même !

Cette boucle basse/batterie, et les accords du synthé par-dessus ( à 1.42), c'est imparable.

Quelques années plus tard, quand Boris a cartonné avec son Soirée Disco, je me suis dit qu'il avait tout piqué à Danube Dance.


Mais il y a un truc que je ne pouvais pas prévoir. 

La cassette se termine.

Face B.

Play.

Il y a encore un ou 2 morceaux chiants.

Et puis ça commence.

 

D'un coup,

Une basse et un violon,

Les mélodies des 2 instruments se rejoignent.

4 notes qui montent à la basse, 4 notes qui descendent au violon.

Une cymbale qui marque le temps,

puis le hi-hat,

le Kick,

et enfin la voix et le snare qui entrent en même temps.

Magique.

 

Même si j'aime ce morceau de bout en bout, avec la voix du chanteur et le piano ensuite, pour moi le meilleur est passé.

Cette intro parfaite.

C'est peut-être là le frisson que j'attendais de ce Garage Sound Of Neeeeeewww-Yooooorkk !

 

Les jours qui suivent, je me repasse le morceau en boucle.

Je ne sais pas qui est cet artiste, le nom du groupe, je ne sais pas.

Le nom du morceau, je ne comprends rien à l'anglais, je ne sais pas ce qu'il dit.

Ils ne donnent aucune info, je n'ai aucun moyen de savoir.

Nous sommes en 1992.

Pas d'Internet, pas de smartphone, pas moyen de contacter le DJ ou d' appeler Skyrock (je n'y pensais même pas).

J'ai juste cette cassette.

Mais je ne veux pas oublier ce morceau.

Je veux le garder.

 

Alors je vais vers mon piano et je cherche la basse.

Je me vois en train de faire des aller-retour entre la chaîne et l'instrument qui est à l'autre bout de la pièce.

J'écoute, je cherche cette basse.

Et puis le violon.

Et j'apprends à jouer cette boucle.

Mains ensembles.

Je ne l'oublierai pas.

Jamais.

Je me dis que c'est la seule solution pour le garder dans ma mémoire.

Je ne me rendais absolument pas compte que j'étais en train de repiquer mon tout premier morceau à l'oreille.

 

J'ai perdu la cassette bien sûr.

J'ai traversé les années 90, 2000 et 2010 avec ces 4 notes au piano.

De temps en temps, je les joue au moment de l'échauffement, comme je pourrais jouer le riff de Rape Me ou de Killing In The Name à la guitare. Des trucs, un peu comme un tic, des trucs qui reviennent, Baby I'm Gonna Leave You.

Printemps 2020.

Il y a quelques jours encore, j'avais 40 ans. J'ai 41. Bon voilà.

 

Sur Spotify, je me fais souvent de longs raids.

Je parle de longs voyages, sur plusieurs semaines ou mois, dans un style musical donné.

Je peux me faire des sessions de 4, 5 heures à écouter de la musique tout en me constituant des playlists, avec Wikipédia à côté.

Et je prends une leçon d'histoire.

Je pars de la genèse, et j'arrive dans nos bonnes vieilles années 2020 quand c'est possible.

Le métal, le Hip-hop, le Reggae, la Bossa, la Power-pop, etc.

Peu importe, les musiques populaires me fascinent.

Les genres, les sous-genres, les genres sous les genres des sous-genres.

C'est incroyable.

J'ai des centaines et des centaines de playlists.

La chronologie, l'évolution d'un·e artiste, d'un groupe, d'un genre musical.

Je ne me lasse jamais de découvrir.

 

 Et parfois, plus rarement, je me fais des soirées-maladies.

C'est des soirées un peu différentes.

 

J'ai quelques chansons-maladies.

En fait, j'en ai 2.

Juste 2.

À ce moment-là en tout cas.

Parce que oui, j'en ai plus qu'une seule aujourd'hui, de chanson-maladie, en 2021.

 

L'autre, je n'en parlerais pas ici...

Mais elle date aussi de cette même année 1992 ... Ou peut être 1991.

Où il n'y avait pas Google pour t'aider.

Et où j'étais tellement à la rue en anglais que je ne pouvais pas me raccrocher au texte pour trouver un titre. Et j'ai eu beau chanter la mélodie à des vendeurs de la Fnac, à Shazam ou sur des sites d'entraide pour les personnes qui cherchent leur chanson-maladie. Celle-là, je crois que c'est un cas désespéré.

 

Bref, mes soirées maladies, c'est celles où je cherche une de ces 2 chansons perdues.

Je connais le style en gros, la période, et j'y vais.

 

J'écoute des heures de compilations, 1991, 1992, 1993.

Mes 4 notes au piano.

New-York, Chicago, la House, la Deep House, c'est les seules infos que j'ai.

Le garage souuund of Newwww-Yooooork !!! Undergrouuuunnd !!!

 

Je découvre des trucs,  je passe le temps.

Mais je cherche cette chanson.

Je la cherche sur Spotify depuis 8 ans.

Je la cherche depuis 28 ans.

Je la cherche.

Toujours.

 

Je réfléchis plus.

Il n'y a plus d'excitation.

Je trouve jamais mon morceau-maladie dans mes soirées-maladies.

Je me promène juste sur le site de streaming avec une bière à la main.

Et je clique,

je clique,

je clique encore,

non c'est pas celle-là,

non,

non plus,

non,

 

...

 

...

 

...

 

Oh Putain.

 

...

 

...

 

...

 

 

Comment expliquer ça.

Ce sentiment.

Non je crois pas.

C'est physique.

J'ai cru que ma tête explosait.

 

Je t'ai trouvé.

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